In the moondust ((Ulrik))

Elzévir faisait tourner entre ses doigts habiles la petite figurine de bois. Elle scrutait attentivement la pièce pour y discerner ses défauts et ses qualités. Le vacarme assourdissant du banquet lui parvenait, mais l’artisan n’avait toujours pas décroché de son atelier. La soirée était entamée depuis un long moment, l’astre solaire était dorénavant entièrement englouti par l’obscurité de la nuit. La jeune femme prit une longue inspiration pour clarifier son esprit où ses pensées éparses se mélangeaient. L’idée de travailler toute la nuit lui convenait amplement. La solitude, le calme, c’était ce qu’elle appréciait et ce dont elle avait besoin Elzévir. Pourtant, l’artisan décoiffait sa longue tresse, repassait en quelques gestes rapides les pans de sa robe. Finalement, c’était animée par l’espoir de glaner quelques informations sur la situation d’Yggradsil, sur le conflit qui divisait le village, que la grande dame traversait le village en direction du hall.

Belle dans ses vêtements de fermières, fière dans sa robe dénuée de toute magnificence. C’est le menton légèrement redressé et le regard digne, que la jeune femme pénétra à l’intérieur du lieu où les rires et les cris fusaient à foison. L’atmosphère étourdissante du banquet lui arracha un sourire et Elzévir se retrouva à sillonner entre les quelques danseurs pour rejoindre les têtes qu’elle reconnaissait bien. Des voisins, des guerriers, des fermiers ou encore des artisans. Dans son sillage, des visages froids et des regards venimeux s’étaient tournées vers elle. Si le sang d’Elzévir était dépourvu de tous pouvoirs, aux yeux des plus haineux, elle était une sorcière. Sa petite soeur en était une. Quant au statut de l’artisan...une femme seule, sans enfants ni époux, ne pouvait qu’être une créature malfaisante.

Elzévir avait soutenu leurs regards lourds de sens, peu déstabilisée par ses hommes aux esprits trop étroits. Sa présence fut accueillie par des cris de joie et la jeune dame se fit très vite emporter par l'effervescence de la soirée, se retrouvant à danser avec des hommes du village, oubliant presque la présence du chef d’Yggradsil. Presque. Comment pouvait-elle l’ignorer ? Il était vaguement apparu dans son champ de vision, le temps d’un simple battement de cils, et son image s’était imprégnée dans son esprit. Comme elle haïssait cet homme, pour être si près et pourtant, si distant. Elle se haïssait, parce que ses sentiments demeuraient intacts. Aussi flamboyants et passionnés qu’aux premiers jours. Elle se haïssait parce que, en dépit de son cœur blessé, Elzévir le respectait plus que n’importe quel homme. Et rien ne pouvait entacher le respect qu’elle lui portait.

Elzévir raconta des histoires sur les dieux et leurs manigances, s’amusant de ces regards intrigués qui l’observaient. Elle tournoya dans les bras d’un homme dont le prénom lui avait totalement échappé. Puis l’artisan s’assit, légèrement étourdie par l'effervescence du banquet. C’est alors qu’elle le vit, regagnant l’extérieur, disparaissant dans les ténèbres. Elzévir hésita quelques instants et c’est finalement, d’un pas décidé, qu’elle quitta à son tour la soirée. Des questions, la jeune femme en avaient des tas. Seulement, Ulrik était le seul à posséder toutes les réponses. Peut-être sera-t-il trop ivre pour lui fournir quoi que ce soit, mais Elzévir était bien décidé à obtenir quelques explications, qu’il soit en état ou non. Le suivre ne fut pas une entreprise difficile, et la jeune femme put aisément le retrouver, à l’orée du bois.

Elle s’approcha doucement de sa silhouette, son regard ne quittant pas le dos qui lui faisait face. Silencieuse, Elzévir s’installa à ses côtés, les yeux aussitôt attirés par l’éclat de l’astre étincelant dans la noirceur du ciel. La lune ne lui avait jamais paru aussi resplendissante, aussi lumineuse. Le tintamarre assourdissant de la soirée s’était dissipé, se réduisant à des bruits lointains. L’artisan était à court de mots. Ils étaient là, assis, éclairés par l’astre lunaire, et Elzévir s’égara dans ses songes. Elle avait tant à lui dire. Mais aucun son ne s’échappa de ses lèvres. Elzévir troubla enfin le silence, chassant la colère qui l'envahissait, tournant sa tête pour ancrer son regard dans celui du guerrier. “ Ce que l’on avait...cela comptait si peu à tes yeux ?”lâcha-t-elle finalement avec douceur, mais son visage lui, était glacial, fermé, ses yeux étaient dépourvus de toutes émotions. Elzévir refusait de croire que leur relation n’avait aucune valeur pour lui, pourtant une part de son esprit commençait à croire à cette possibilité. “ Et ne t’avise même pas de me mentir Ulrik. Dit moi la vérité s'il te plaît.”