we are a family [PV Elzévir]

Elzévir luttait férocement contre le sommeil qui la gagnait peu à peu. Depuis combien de temps était elle là, le regard fixé sur le plafond de la pièce ? L’artisan craignait de s’endormir, d’être engloutie par les ténèbres, d’être piégée dans ses cauchemars. Comme chaque nuit, elle essayait d’échapper à son fardeau. Elle implorait la pitié des dieux, elle implorait son esprit pour effleurer ne serait-ce que du bout des doigts la paix et le calme. Mais comme chaque nuit, la douce et froide Elzévir glissait dans les ténèbres. Le monde autour d’elle se dissipait, les murs de sa chaumière disparaissaient, le plafond devenait le ciel et le village devenait la forêt. L’artisan courait à travers les bois, le souffle court, les jambes tremblantes. Ne pas s’arrêter. Elle devait courir, encore et encore.


Le visage baigné de larmes, les mains baignées dans le sang. La dame observait autour d’elle à l’affût du moindre mouvement, de la moindre présence. Ses yeux submergés par la terreur scrutaient l’obscurité de la forêt d’où semblait provenir un murmure, une plainte presque inaudible. Elzévir s’enfonça plus profondément, suivant aveuglément le son de la voix qui fut bientôt rejoint par de nombreux chuchotements. Une litanie semblait s’élever au-delà des arbres, une litanie qui glaçait le sang d’Elzévir et lui faisait tourner la tête. Ses jambes s’écroulèrent sous le poids de son corps. Le monde se mit à tournoyer, tandis que de nombreuses silhouettes à l'apparence humaine se dessinaient sous ses yeux. Une ombre s’avança vers elle, arborant un sourire rassurant et un regard pétillant. “ Vois ce que tu as fait.”déclara-t-elle, la voix douce et mélodieuse, intimant la dame à obéir. Elzévir observa autour d’elle et dans son champ de vision apparu mille macchabées, gisant au sol. Parmi eux, l’artisan reconnut la chevelure argentée de sa petite sœur, encadrant son visage au teint blafard, le corps baignant dans une mare de liquide pourpre. Non, non, non. Ces mots se percutaient dans son esprit, tandis qu’Elzévir rampait lentement vers sa sœur. Son cri de terreur résonna à travers toute la forêt.

Une chaleur semblait envahir son corps alors qu’un flot de larmes s’écoulait sur ses joues. Bercée par une étreinte chaleureuse, une voix qui lui était familière chassa la vision qui s’imposait à elle. Les bois furent engloutis par l’obscurité, les silhouettes s’évanouirent. Les hurlements de l’artisan se turent et ses yeux se fermèrent doucement. Lorsque la dame ouvrit les yeux, Nolonfinwë se tenait près d’elle. Elle se redressa alors, en proie à une angoisse infinie. Les mains d’Elzévir effleurèrent le front et les joues de la jeune sorcière, puis capturèrent son visage entre ses doigts mue par l’affolement. “ Tu étais morte. Tu étais morte et je n’ai rien fais.”déclara-t-elle, la souffrance se reflétant dans ses pupilles azurées. Elle n’avait jamais éprouvé un sentiment de vulnérabilité aussi puissant. Désorientée, Elzévir enlaça sa petite soeur ou plutôt, s’accrocha à elle, effrayé à l’idée de perdre son point d’ancrage. “ Ne vois-tu pas que j’essaye de t’aider ?”murmura-t-elle, les images de son cauchemars implantés dans son esprit.

Puis Elzévir sombra dans un long silence, incapable de prononcer le moindre mot. Aussi, après un moment qui lui parut interminable, l’artisan se redressa, s'efforçant de balayer toute trace de détresse qui s’était accroché à ses yeux. “ Je t’ai réveillé . Excuse moi, ce n’est rien. Tu peux retourner te coucher.” sa petite soeur ne devait rien savoir, Elzévir se l’était juré. L’artisan garderait sa souffrance pour elle seule, obnubilée par ce besoin de la protéger, par tous les moyens. Le visage d’Elzévir se refermait doucement et son regard se fit bientôt impénétrable.

L’artisan scrutait sa soeur, comme pour déceler la véracité de ses propos. Elzévir fronça les sourcils, ignorant que sa soeur travaillait encore au coeur de la nuit. “ Tu travailles aussi tard . Tu devrais dormir un peu plus.” Sa voix était moins froide que d’ordinaire, son ton était plus doux, presque éreinté. Ses cauchemars absorbaient toute son énergie et Elzévir s’épuisait un peu plus au fil de ses nuits. La jeune dame était maladroite, mais le bien-être de sa demi-soeur l’importait plus que tout au monde. S’il lui arrivait de monter sur ses grands chevaux ou de s’abandonner à sa colère, l’artisan ne pensait pas à mal et elle espérait que la jolie Nolonfinwë en ait conscience.

Celle-ci lui apporta un verre d’eau que la jeune femme prit aussitôt entre ses mains pour en boire quelques gorgées. “ Merci.”Sa gorge brûlait, comme si elle était entièrement déshydratée. Le liquide apaisa la tension dans laquelle son corps semblait être enfermé. Ses muscles se détendaient, les palpitations de son cœur reprenaient leur rythme ordinaire. Ses démons n’étaient presque plus qu’un lointain cauchemar. Presque. Parce qu’Elzévir pouvait encore sentir leurs souffles chauds effleuraient sa nuque, sentir leurs yeux brûlant dans son dos, leurs voix gutturales se fracassant contre ses tympans. Ils ne s’éloignaient jamais. Ils demeuraient à ses côtés à longueur de journée, à longueur de nuit. L’artisan reposa le verre sur la petite table installée à côté de son lit puis son regard se dirigea vers sa demi-sœur.

Devait-elle lui parler de ce fardeau qui pesait lourdement sur ses épaules ? Devait-elle lui révéler la vérité ? L’atrocité de ses cauchemars ? Lui expliquer que la magie n’était pas son ennemi, mais sa plus fidèle alliée . Ils allaient tous périr, Elzévir l’avait vu et revu. Dans ses rêves, la jeune dame assiste à la mort de chaque villageois et elle observe, impuissante, le spectacle morbide qui se déroule sous ses yeux. La jeune femme prit une grande inspiration. “ Allonge toi un peu à côté de moi Nolofinwë.”proposa-t-elle, un léger sourire flottant sur ses lèvres. “ Je n’ai pas envie d’être seule.”finit-elle par avouer, alors qu’elle se glissait de nouveau sous ses couvertures.