You have her eyes [Azura ¤ Avril 902]

☾☾ Yggradsil était à la fois la même tout en étant différente. Bien sur, en un siècles certaines rues avaient changé, les échoppes avaient changé de propriétaires, la ville s'était développée. Ce n'était plus la même bourgade que celle qu'il avait quitté après la mort de Tatiana et pourtant, l'âme était la même. Les manoeuvres de Rome n'avaient pu détruire le coeur la ville qui l'avait vu naitre. Il repassait devant des bâtiments qui avait été rebâtit, des maisons qui avaient été embellis, des rues qu'il avait de si nombreuse fois arpentées ...  Il n'avait aucune chance de retrouver d'autre vestige de son passé que la superposition de ses souvenirs sur la Yggradsil de ce présent qu'il ne connaissait pas. Pourtant, ses pas poursuivirent leur route entre les bâtisses, les ruines et les commerces. Les rues autrefois désertes où jouaient les enfants étaient à présent des lieux de rassemblement, des avenues centrales où la vie grouillait. Snöfrid ignorait les regards qui se posait sur lui. Sa carrure impressionnait autant que son regard, d'une couleur pour le moins inhabituelle, et cela était sans compter sa chevelure argentée qui jurait avec le visage d'homme encore jeune qu'il arborait. Il était loin de faire ses cent trente ans, mais ses cheveux avaient toujours été ainsi. La marque de sa nature, racontait sa mère lorsqu'elle s'amusait à lui attacher ses mèches presque blanches quand il n'était encore qu'un enfant.

Ironie, ce fut à ce moment que ses pas se stoppèrent. Si ses souvenirs étaient bons, c'était ici qu'il avait vécu, avec Tatiana. La demeure n'était pas la même et cela n'étonna guère le sorcier qui se doutait bien qu'après la mise à mort de la sorcière, on s'était empressé de faire disparaitre toute trace de son existence. Son passé révolu vivait à présent dans l'air, cendres désormais part entière de cette terre qui était la sienne. Le destin n'en était pas à un ironie près et Snöfrid remarqua un symbole, un signe à la limite du blason, gravé sur le bois de l'embrasure de la porte. Un symbole qu'il connaissait bien, caractérisant une famille de guérisseur qu'il avait croisé au début de son périple. Alors il frappa avant d'entrer. « C'est ici que vit le guérisseur ?  »  demanda-t-il à la cantonade, cherchant du regard une personne bien particulière. Cela n'aurait pu être possible ... Elle devait être morte à présent ... Ou proche de l'être: elle avait une vingtaine d'année lorsqu'il l'avait connu ... Quel âge avait-elle à présent ? Plus d'un siècle également ... Et les humains n'étaient pas connu pour leur longévité ...

☾☾ Il fut accueilli par une voix féminine, ce qui ne l'importuna, ni ne le surprit plus que cela. Se penchant pour passer le pas de la porte, Snöfrid referma celle ci derrière lui, laissant ses yeux s'habituer à l'obscurité soudaine d'une habitation. La maison semblait plus confortable que celle qui s'était dressée au même endroit cent trente ans plus tôt et l'air qui s'y trouvait fleurait les herbes et les plantes. Finalement, il tomba nez à nez sur une petite brindille brune qui le regardait avec un air enchanté et un regard joueur. Immédiatement, il se vit repartir des années en arrière et il ne put s'empêcher de laisser sortir un nom. « Arybanne ?  »  Cela n'était possible, la jeune fille qu'il avait connu devrait avoir plus d'un siècle et elle ne pouvait garder une apparence si juvénile. D'aussi loin qu'il se souvienne, les Layndos, et Arybanne plus particulièrement, n'étaient pas des sorciers. Ils n'avaient rien contre, flirtant eux aussi à la limite de l'acceptable pour les hautes sphères romaines, mais ils demeuraient bien humain dans leur sang. Cependant après un instant d'observation, il comprit. Celle qui lui faisait face ne pouvait être Arybanne, et au delà de cette certitude, Snöfrid remarqua des détails qui divergeaient de celles qu'il avait connu dans le passé. Ses cheveux étaient légèrement plus foncés, ses pommettes un peu plus haute, son nez un peu plus remonté. Ce n'était pas Arybanne, mais c'était assurément l'une de ses descendantes !

Ce fut à ce moment que le discours de la jeune fille parvint à son cerveau et, plaçant la paume de sa main sur son front, avant de la laisser glisser pour pouvoir pincer l'arrête de son nez de ses doigts, il soupira. « Pardonnez moi, j'ai connu une Layndos il y a longtemps ... Vous lui ressemblez énormément.  » expliqua-t-il cependant, quelque peu mal-à-l'aise de sa méprise. Cela ne lui ressemblait décidément pas de faire ce genre d'erreur et de se laisser aller à la nostalgie. Sans doute était-ce son retour à Yggradsil qui avait sur lui, un effet qu'il n'avait envisagé ? Il fallait qu'il se ressaisisse, Yggradsil rappelait à lui tout un tas de souvenirs et cela risquait de lui porter préjudice s'il ne faisait pas attention. Il se racla la gorge pour faire passer le malaise et, remontant sa manche sur une plaie en pleine cicatrisation, poursuivit. « J'ai été blessé y'a d'ça quelque jours. J'ai fais avec les moyens du bord, mais je serais pas contre un onguent pour la cicatrisation et l'assurance que tout ça ... A bien été désinfecté. Perdre mon bras de la sorte serait une catastrophe.  »

☾☾ Son trouble sembla être communicatif: à peine avait-il prononcer ce prénom que la jeune femme, elle même, sembla être décontenancé. Elle n'en perdit cependant pas ses moyens expliquant qu'Arybanne était sa grand-mère. Ainsi, il avait raison: cette ressemblance avec la guérisseuse qu'il avait connu dans le passé, l'appartenance au clan Layndos ... C'était bien sa descendante. Décidément ... Le temps passait si vite ! Une petite fille ? Déjà une troisième génération. « Hum ...  » répondit-il sans chercher à argumenter plus. Snöfrid n'était pas un bavard, il n'allait pas changer son caractère pour taper la conversation avec une inconnue, fut-elle la descendante d'Arybanne. Il hocha la tête et alla s'assoir là où la jeune fille venait de lui indiquer. Azura donc ? Cette coïncidence, la présence des Layndos, leur demeure bâtie sur le lieu même où se tenait la maison de Tatiana avant la purge et la proximité qu'il avait pu avoir avec Arybanne ... Devait-il en conclure que la famille s'était réellement installée ici après qu'il les ai croisé au début de ses errances ? Elle vint s'installer devant lui, observant la plaie donc la cicatrice, laissait supposer qu'elle avait été maladroitement recousue. Il soupira. « Pas la peine d'user des politesses avec moi ... J'ai rien d'un nobliaux.  » expliqua-t-il. Il n'avait rien à faire des convenances sociales: il se moquait bien des titres et des politesses, mais bien que lui n'ait que de rare interactions avec les quelques clients auxquels il louait sa lame, cela ne devait pas forcément être le cas de la jeune guérisseuse. Après tout, elle vivait au sein d'un village et bien q'Yggradsil n'avait la taille ou le luxe de Rome, il se doutait bien que la vie en communauté ne pouvait se passer de quelques convenances. « Un sale coup que j'ai reçu lors d'un combat. J'avais oublié qu'on aimait bien les poisons par ici ... J'ai trouvé quelqu'un pour s'assurer que je ne risquais rien, mais entre combattants ... On sait pas faire d'jolies cicatrices.  » Il n'en dit pas plus, oubliant que jusque là, il ne lui avait même pas dit qui il était. Snöfrid était factuel, avare de paroles. « Y'aurais qu'ça ... C'est pas ma première et ce s'ra sans doute pas la dernière mais j'veux pas perdre mon bras.  » Il espérait que l'extraction du poison avait été fait convenablement mais les démangeaisons que lui provoquait la blessure l'inquiétait et rien ne valait un passage chez un professionnel afin d'être certain que tout aille pour le mieux. « Alors fais c'que t'as à faire. J'encaisserai ...  » ajouta-t-il en détournant le regard de la plaie. Il n'était pas des plus à l'aise avec ce genre de pratique et il savait que regarder influencerait sa perception de la douleur. Il la laissa alors observer la cicatrice, envisager la manière d'agir sur cette dernière et l'observant faire, il ne put s'empêcher de dire « Tu lui r'ssemble beaucoup. A Arybanne.  » Il était bien plus troublé qu'il voulait bien l'admettre. « Elle d'vait être à peine plus vieille que toi quand je l'ai connu..  »

☾☾ Retourné à son état pensif, Snöfrid ne s'attendait pas à une telle réaction de la part de la jeune fille. Aussi manqua-t-il de s'étouffer en entendant les surnoms qu'elle lui prêtait, sourire aux lèvres, sans avoir la moindre idée de qui il était. « Grise-toison ?! Nan mais tu pourrais respecter tes aînés un peu ?!  » s'agaça le sorcier dont le bras était toujours immobilisé par la guérisseuse et les soins qu'elle lui prodiguait. S'il n'en avait pas été le cas, sans doute aurait-elle reçut un coup sur la tête pour se remettre les idées en place. Mais Snöfrid prit son mal en patience et dans un soupire, donna son nom. « Je suis Snöfrid. Thorkild.  » Ce n'était pas qu'il tenait à demeurer anonyme, mais il se demandait bien à quoi cela pourrait lui servir de le connaitre: il ne demeurait jamais longtemps au même endroit, être de passage, il disparaissait aussi vite qu'il apparaissait et ce, sans laisser de trace. Une fois qu'il aurait défini si la prophétie de sa mère était exacte, il quitterait Yggradsil. Il ignorait d'ailleurs ce qu'il ferait s'il trouvait la femme que Tatiana lui avait promit. Resterait-il plus longtemps ? Tout cela respirait les ennuis à perte de vue et il voulait s'éloigner le plus rapidement possible de Rome, de son empereur et de ceux qui cherchaient à mettre la main sur les êtres magiques. Sa curiosité pourrait lui couter cher s'il ne faisait pas attention ...

Il ne sembla guère amusé de la taquinerie d'Azura, lui offrant un regard septique et une mine toute aussi indifférente. « j'imagine que cette volonté n'est pas non plus étrangère aux guérisseurs ?  » lui répondit-il du tac au tac avant de la laisser retourner dans un flot de paroles qu'il n'écoutait qu'à moitié. Arybanne savait que cela ne servait à rien de tenter de lui faire la conversation. Snöfrid n'était pas un homme ordinaire et il se satisfaisait très bien du silence et de la solitude. « En tout cas, sur le point de vue du tact et du respect des clients, y a encore des progrès à faire, gamine.  » rétorqua-t-il en la foudroyant du regard pour les sobriquet dont elle avait osé l'affubler précédemment. Mais rapidement, les paroles de la guérisseuse et les souvenirs de Snöfrid se rejoignirent en la personne, absente, d'Arybanne. « Mais je confirme, elle avait un talent exceptionnel dans l'art de manier les plantes. Je me suis même demandé si elle n'était pas un peu sorcière ...  » avoua le sorcier qui, face au talent de la Layndos, n'avait pu qu'être impressionné. Arybanne était directe, précise, rigoureuse et délicate. Elle soignait des plaies avec une minutie qu'on ne retrouvait que chez les joailliers expérimenté et son terrain de jeu était le corps de ses patients. D'elle semblait émaner une sagesse rare malgré son jeune âge. Une respiration forte se fit entendre. « Longue histoire ... Mais pour faire court, j'ai quitté Yggradsil après la purge. Un an après mon départ, j'ai croisé le clan Layndos qui n'était que nomade à l'époque. Je suis resté quelque temps avec eux avant de reprendre la route.  » raconta l'homme au cheveux blanc avant de poursuivre. « Je savais qu'elle envisageait de s'installer ici, mais je ne savais pas qu'elle l'avait vraiment fait.  » C'était ainsi, difficile d'envoyer des lettres à un nomade et Snöfrid ne savait jamais où il allait aller. De la même manière, Arybanne n'était pas mariée et suivait sa famille sans savoir non plus vers où ses pas la mènerait la semaine suivante.